"L'intrépidité était avec la bonté et la prudence sa caractéristique."

Témoignage de son Provincial


Mère Germaine de Jésus (de Sonis) 1866 - 1945, la fondatrice du Carmel de Verdun

La fille du grand soldat chrétien que fut le général de Sonis nourrit une profonde admiration pour son père dont elle hérite le caractère bouillant et volontaire. On note dans son carnet, alors qu’elle n’a que 11 ans: “je combattrai mon orgueil, je serai charitable et soumise, et je tâcherai de toujours dire la vérité. Je serai fidèle à dire mon chapelet, à faire l’examen, à porter le scapulaire et à faire tous les jours la communion spirituelle avec une invocation au Sacré Cœur.” Germaine a en effet un tempérament "sanguin" qu’elle s’efforce de vaincre dès le plus jeune âge, à l’imitation de son père.

 

Elle devient très sage, pieuse, travailleuse, est reçue avec éloge au brevet (1883) et sa vocation religieuse s’affirme sous les yeux d’un père qui rend son âme à Dieu le 15 août 1887. Germaine est décidée, éconduisant ses multiples soupirants, elle entre au carmel de Laval en 1892; un carmel de stricte observance où elle apprend humblement la pauvreté, l’humilité, l’obéissance: “On est malheureux en religion que si l’on se ménage ou si l’on se partage, que si l'on pense plus à soi qu’au Bon Dieu, que si l’on refuse quelque chose, que si l’on n’est pas fidèle. Autrement on goûte le bonheur le plus pur qui puisse se rencontrer sur terre, celui qui confine le plus au Bonheur du ciel”.

 

Elle part au carmel de Nancy (1897) où elle devient rapidement maîtresse des novices puis prieure (1901) au moment où la lutte anticléricale se déclenche. Il lui faut courir les routes de Belgique pour trouver un nouveau point de chute. Ces voyages sont l’occasion de lettres à ses religieuses qui montrent une grande exigence pour l’amour du Divin Maître: du caractère, de la volonté, tous les courages , des actes héroïques , mais tout cela emprunt d’une grande affection maternelle.

 

Le 15 août 1914, le carmel est au cœur de la bataille. Mère Germaine de Jésus n’hésite pas ; le carmel devient ambulance pour les soldats blessés. Les religieuses accueillent, donnent le peu qu’elles ont et se mettent entre les mains du Divin Maître. Les Français refluent et le carmel se retrouve, pendant 4 ans en territoire occupé par les allemands: suspicion de résistance, menace de fusiller ces “espionnes”, rien n’atteint la mère prieure qui, comme toujours, trouve la force de réconforter ses filles et de maintenir la joie dans l’adversité.

 

L’après guerre est pour Mère Germaine une course de 5 années de recherche, pour le retour de son carmel en France, malgré nombre de mauvaises volontés. Enfin, en 1923, le nouveau carmel peut s’implanter à Verdun.

 

A la mort de sa mère, en 1927, l’ouverture du tombeau étonna le fossoyeur par la lourdeur du cercueil du général. On vit qu’après presque 50 ans, le corps était intact, toujours souple. De 1929 à 1939, appuyée par l’évêque de Chartres, elle déploie toute son énergie à faire avancer la cause de béatification de son père. Cela ne la détourne en rien de son devoir de prieure tant apprécié par les sœurs. Redevenue simple moniale par humilité et obéissance à la règle en 1932, elle est réélue en 1935 et sera maintenue prieure par la communauté jusqu’à sa mort.

 

En 1940, l’invasion allemande remet les sœurs sur les routes; c’est l’exode avec son cortège de malheurs, de lâchetés et d’héroïsme. L’objectif des carmélites est Moulins; mais elles se retrouvent au Carmel de Lyon. Enfin, à l’automne 1940, bravant tous les dangers, Mère Germaine peut réintégrer le carmel de Verdun en zone interdite. Cette vieille femme, elle a 76 ans en 1941, se rend sans papiers, roulant allègrement l’occupant, à l’invitation de l’évêque de Chartres, toujours accompagnée de l’épée du général, pour conférer avec le vice postulateur de la cause de son père.

 

A partir de 1942, affectée d’un zona et d’une néphrite, elle se fragilise: une période douloureuse qui va durer trois ans sans l’empêcher de remplir sa tâche de prieure. Elle rend son âme à Dieu à 79 ans, à Noël 1945, laissant à sœurs ce testament: “Vous leur direz de ma part de s’aimer… d’autres seront peut-être plus austères, plus mortifiées, plus silencieuses, vous ce sera la Charité”.

Témoignage de sœurs sur Mère Germaine de Jésus en 1946

Mère Germaine avait eu une formation religieuse très sévère, très dure, très austère. Elle ne nous traita jamais durement comme elle l’avait été, mais sa direction était virile. Elle reprenait avec force et indifféremment toutes ses filles, les anciennes, comme les jeunes et n’admettait pas les échappatoires de l’amour propre, il fallait s’humilier et reconnaitre ses torts, alors, mais alors seulement on recouvrait sa grâce, sa bonté, sa bienveillance, tout était pardonné, oublié!

 

Elle était sévère pour le silence. Jamais on n’eût trouvé deux sœurs s’entretenant ensemble, pas de confidences, pas de conversation particulière à la récréation. Mais quelle bonté, quelle délicatesse, quelle compréhension, quelles largeurs de vues. On pouvait tout lui dire, on était sûr d’être compris. Elle était bonne, très bonne pour les malades et dure pour elle-même…

 

Dans ses dernières années, elle vécu un vrai martyre. Ce martyre dura du mois de juillet 1942 au 24 décembre 1945: les douleurs intolérables du zona, puis de la névrite du bras et de la main droite. La surdité, un commencement de cataracte qui lui enleva la possibilité de la lecture qu’elle aimait tant. Les deuils coup sur coup, deux frères, une sœur, enfin le 28 mai 1943 la fracture de la jambe, l’immobilité complète et l’impuissance totale.

 

Tout ce temps, elle eut l’énergie de vivre, de s’occuper de sa charge, de faire ses chapitres, de voir ses sœurs à tour de rôle en direction, par un effort de volonté vraiment surhumain.

 

Elle s’occupait aussi dans ces longs mois douloureux de la chère cause de béatification et mettait toutes ses dernières forces à témoigner sur son saint papa, à réfuter ce qui n’était pas l’exacte vérité: «J’aime mieux qu’on n’écrive pas sa vie que de ne pas dire les choses telles qu’elles sont ». Pour son saint papa, toutes ses forces, tous ses travaux. Rien pour elle: «Vous ne trouverez rien de moi après ma mort». Ce ne sont pas ses paroles, ni ses écrits qui la loueront, mais ses actes. Son infirmière aurait voulu la faire parler d’elle, mais elle gardait le silence. Elle était silencieuse, mais à la voir vivre, dans tout l’ensemble de sa vie, on sentait le cœur si grand, si grand…

 

Elle nous disait: «Chaque communauté a son cachet particulier, les unes brillent par leur austérité, d’autres par leur amour du silence ou de la solitude. Pour nous, notre caractéristique ce sera la charité. On écrira dans le cloître: «Ubi caritas et amor ».

 

Quelques temps avant sa mort, elle dit à Mr le chanoine François, parlant de nous: «Vous leur direz de ma part qu’elles s’aiment les unes les autres, c’est mon testament».

 

Témoignage du chanoine H. François aux sœurs carmélites de Verdun, en 1946

"Vous m’avez demandé, mes chères filles, de vous écrire au sujet de votre Mère. Je le fais bien volontiers…

 

Pour le dire tout de suite, vous garderez le souvenir de l’ardent patriotisme et de l’esprit de "résistance" de votre Mère.

 

Elle admira toujours le geste de l’Amiral d’Argenlieu, détesta cordialement le nazisme et toute sa ruse et salua d’une joie délirante, la délivrance de la France.

 

Française cent pour cent, elle souffrait de voir son pays ravagé par les divisions politiques et priait, souffrait afin que la France reprenne sa place chrétienne parmi les nations.

 

Ces traits indiquent déjà l’essentiel de la physionomie de votre Mère : une âme affectueuse, sensible, enthousiaste pour tout ce qui est noble.

 

Cette puissance d’amour, elle la portait évidemment tout d’abord sur Dieu. Elle vivait de sa foi. La gloire de Dieu la saisissait tout entière. Son oraison très simple était d’adhérence à Dieu, de conformité, de soumission filiale à sa volonté. Rien de compassé, ni de compliqué dans sa piété. La spiritualité de Dom Marmion fut la joie de ses dernières années. Elle goûtait tous les ouvrages de ce Saint Abbé et entrait facilement dans son esprit, c’était le sien, elle s’y reconnaissait.

 

Malheureusement, sa grande humilité, l’empêchait de parler de sa vie intérieure. Même avec moi, elle était peu loquace à ce sujet et encore moins, je le crois, avec vous.

 

Humble, elle l’était ; combien de fois elle s’affirmait, sincèrement, la dernière de toutes et ne s’appuyant en rien sur ses mérites, elle ne comptait que sur la Miséricorde divine.

 

La sagesse du Saint Esprit dominait en elle. Elle aimait chez les autres ces mêmes qualités de foi, d’amour sans étalage et d’humilité. Les voies extraordinaires la tenaient en suspicion, et les moindres manifestations d’orgueil chez ses filles, la révoltaient. Elle aimait Dieu, mais elle aimait aussi les siens et d’abord sa famille, selon la chair. Elle avait un tel esprit de famille … elle vivait du souvenir de son père où elle ne trouvait qu’à admirer. Mais sa mère, ses frères et sœurs, ses neveux et nièces possédaient son affection et son bonheur se portait vers tous ; leurs épreuves la touchaient profondément.

 

Elle aimait l’Ordre du Carmel ardemment, les moindres évènements étaient joie ou souffrance, surtout les Pères … Oh ! quand elle parlait des Pères elle était rayonnante. Quelle joie pour elle de savoir la Province en progrès. D’apprendre qu’ils étaient ‘’ résistants’’, quelle peine de leurs deuils, des souffrances de la mort du Père Jacques.

 

Elle aimait ceux qui avaient du cœur. C’était souvent sa manière pour elle de régler son affection et elle se réjouissait de voir que toutes, mes chères Filles, vous aviez du cœur.

 

Car elle vous aimait, elle vous aimait en tout, surtout quand elle vous reprenait. Cette sensibilité si vive en effet, servie par une belle intelligence et une volonté formidable. Elle réfléchissait beaucoup, consultait souvent (pas toujours) puis se taisait… Elle priait longuement, un ou deux jours parfois, puis elle agissait. « J’ai décidé ceci, j’ai fait telle chose.. » et c’était fait pour votre bien réel (pas toujours votre bien apparent)  votre bien réel, s’intégrant dans le bien de toutes, dans le bien de la Communauté. Elle savait que parfois elle faisait beaucoup souffrir et elle souffrait terriblement elle-même. Mais rien d’autre ne comptait que la volonté de Dieu qu’elle voulait accomplir en réalisant le bien de son cher Carmel.

 

Elle vous a passionnément et fortement aimées… parce qu’elle vous a aimés en Dieu.

 

Quand la souffrance physique s’est présentée, elle s’y est soumise tout de suite humblement et a baisé la main de Dieu. Elle savait que les « co-rédemptrices » que sont les Carmélites, ont droit à une bonne part de la Croix. S’il y eut parfois un fléchissement devant la longueur de la souffrance, ce ne fut jamais en considération d’elle-même, mais elle s’imaginait être à charge de la Communauté. « Je gêne les sœurs il vaudrait mieux que le bon Dieu me prenne. »

 

Elle passait parfois des journées entières écrasée par cette idée que j’essayais de combattre en elle, en lui rappelant combien vous aimiez à la posséder, même malade et combien il vous était fructueux de lui prodiguer vos soins.

 

De tout ce que je viens de dire ressortent facilement les désirs pour votre cher Carmel.

 

Elle vous veut fermes dans votre foi, prêtes à accepter tout de Dieu, même les plus grandes épreuves…épreuves extérieures… épreuves de santé et la mort.

 

Vous garderez un souvenir ineffaçable de sa sérénité devant la mort. Elle vous veut humbles. Humble la Mère Prieure, pour qu’elle marche sur ses traces, la servante de toutes, la plus dévouée de toutes, et humbles les Filles, prêtes à recevoir les bienfaisantes humiliations qui les rapprocheront de Dieu.

 

Elle vous veut unies dans l’affection mutuelle et laissez-moi vous affirmer que vous avez certainement donné une grande joie à votre Mère par l’affection qui rayonne entre vous depuis sa mort. Elle a traqué en vous les particularismes, elle a été dure parfois quand elle les soupçonnait, mais que lui importaient quelques larmes de ses filles si elle sauvait le grand principe de l’union.

 

L’esprit d’union lui importait plus dans les postulantes que l’amour de la mortification ou la hauteur de l’oraison.

 

Don total de vous-mêmes, humilité, affection mutuelle sont les bases du programme que votre nouvelle Prieure et moi-même voulons établir toujours plus fortement en ce Carmel afin que vive ici l'Esprit de Mère Germaine de Jésus."

 

Chanoine H. François.